Agressions d’arbitres : Un état des lieux inquiétant !

Un malaise qui grandit

 

Depuis l’automne 2024, plusieurs incidents de violence envers des arbitres ont entaché la saison de hockey sur glace en France. Ces gestes ne concernent plus seulement le haut niveau : ils touchent les catégories jeunes, les divisions inférieures et les patinoires de Ligue Magnus. Devant la récurrence des incidents, l’Association des arbitres de hockey sur glace (AAHG) a publié un communiqué au vitriol dans lequel elle rappelle qu’aucun fait de jeu, aucune décision, aucun enjeu ne peut justifier une agression envers un arbitre. Pourtant, la Fédération française de hockey sur glace (FFHG) se sent obligée d’affirmer que ses organes disciplinaires agissent « en toute indépendance ». Cette divergence de lecture, doublée d’un sentiment d’ « entre‑soi » au sommet, nourrit la colère des arbitres et de nombreux acteurs du hockey.

 

Bordeaux–Angers : l’étincelle

 

La crispation remonte au 25 octobre 2024. Ce soir‑là, lors du match de Synerglace Ligue Magnus entre Bordeaux et Angers, le gardien angevin Matthew O’Connor, mais surtout son coéquipier Sami Tavernier, perdent leur sang‑froid. Alors qu’un but bordelais est accordé puis refusé après arbitrage vidéo, O’Connor pousse sa cage vers l’arbitre et le percute. Tavernier s’emporte lui aussi et projette l’arbitre au sol. Le lendemain, le staff Angevin, annonce suspendre O’Connor « à titre conservatoire » le temps d’évaluer la sanction : « Qu’elle soit physique ou verbale, rien ne justifie une réaction violente vis‑à‑vis d’un arbitre ». Surprise : aucune sanction interne n’est prise contre Tavernier, alors que l’ensemble des acteurs du hockey français estime immédiatement que l’action du joueur est au moins aussi grave que celle du gardien. Pourquoi le staff Angevin protège‑t‑il Sami Tavernier ? Incompétence ou manœuvre politique ? Quoi qu’il en soit, à ce niveau et dans ce type de dossier, c’est impardonnable ; quelques jours plus tard, la CIRJ donnera raison aux observateurs du hockey français et tort au président angevin.

 

En effet, le 30 octobre, la Commission des infractions aux règles de jeu (CIRJ) de la FFHG sanctionne Tavernier de neuf matches fermes et O’Connor de sept matches. L’AAHG juge cette sanction « insuffisante » et s’étonne que les officiels du match n’aient pas été auditionnés dans le cadre de la procédure. Elle rappelle en outre que les arbitres ne disposent pas de droit d’appel sur une décision de la commission – cette faculté n’appartient qu’au président de la FFHG. « C’est une honte, notre fédération est la seule qui ne protège pas ses officiels… », réagit un arbitre à cette décision. « Regardez dans les autres fédérations de hockey, dans les autres sports : jamais de telles sanctions, sur des actes aussi graves, ne sont aussi légères, poursuit‑il. D’autant que dans notre sport les équipes disputent plus de 50 matches par saison ; sept matches, c’est à peine un mois de suspension pour une agression sur un arbitre : quel scandale ! »

 

La fédération réagit le 1ᵉʳ novembre par un communiqué. Elle y défend l’indépendance de la CIRJ, composée « notamment d’anciens arbitres de très haut niveau » et chargée de statuer de manière impartiale. La FFHG exprime son « profond désaccord » avec ceux qui remettent en cause la compétence ou la probité de la commission et réaffirme son soutien aux arbitres. Mais cette réponse, essentiellement défensive, n’apaise pas le corps arbitral : l’AAHG dénonce un manque de fermeté et rappelle que les violences envers les arbitres sont en hausse, y compris dans les catégories jeunes.

 

Une répétition inquiétante

 

L’affaire Bordeaux–Angers n’est pas isolée. Le 5 janvier 2025, à l’issue d’un match de championnat U20 entre Cergy et Grenoble, un joueur francilien agresse physiquement l’arbitre. La FFHG annonce alors que la CIRJ se dessaisit du dossier au profit de la commission disciplinaire de première instance. Compte tenu de la gravité des faits, le président de cette commission prononce une mesure conservatoire et interdit au joueur de participer à toute manifestation organisée par la FFHG jusqu’à ce qu’il soit auditionné. La fédération rappelle son soutien à l’arbitre et condamne toute violence. Le niveau de réponse est alors loin de celui du cas précédent ; pour quelle raison ? Nous y reviendrons.

 

Ces cas récents s’ajoutent à un climat déjà délétère décrit par l’AAHG : des arbitres U13 violentés en octobre, un juge de lignes frappé en Division 1, et d’autres incidents relayés sur les réseaux sociaux. La répétition des agressions, leur médiatisation et la jeunesse de certaines victimes inquiètent la famille du hockey et donnent le sentiment que la réponse fédérale n’est pas à la hauteur.

 

Un « entre‑soi » qui suscite le doute

 

La gestion du dossier Bordeaux–Angers a également mis en lumière un possible conflit d’intérêts. Rodolphe Instaby, qui a suspendu O’Connor à titre conservatoire sans sanctionner Sami Tavernier, n’est pas seulement président des Ducs d’Angers : il est aussi membre du comité directeur de la FFHG élu pour l’olympiade 2022‑2026. Aucun document public ne précise s’il s’est récusé lors des discussions internes relatives à l’incident. Pour certains observateurs, cette double casquette nourrit l’idée d’un « entre‑soi » : comment un dirigeant de club peut‑il participer au gouvernement fédéral et, dans le même temps, être concerné par les sanctions visant ses propres joueurs ?

 

Les recherches sur la carrière fédérale de Rodolphe Instaby montrent qu’il a longtemps siégé à la commission d’arbitrage (CARJ) et qu’il a même été présenté comme vice‑président de cette commission dans certains articles de presse en 2023. Ainsi, un article de Ouest‑France daté du 28 février 2023, signé Raphaël Bonamy, le présente comme vice‑président de la CARJ. Pourtant, selon le procès‑verbal du comité directeur du 18 juin 2022, la présidence de la commission d’arbitrage a été confiée à Fabrice Hurth et Rodolphe Instaby a été chargé de la réforme des championnats jeunes et des divisions inférieures. Lors de l’assemblée générale 2025, il est intervenu sur les championnats tandis que d’autres responsables présentaient le rapport sur l’arbitrage. Cette superposition de rôles, passée et présente, entretient l’idée qu’il est difficile de sortir de l’entre‑soi.


Une protection juridique mal appliquée


Depuis la loi n° 2006‑1294 du 23 octobre 2006, les arbitres et juges sont considérés comme chargés d’une mission de service public. L’article L.223‑2 du Code du sport leur confère cette qualité et renforce leur protection. Cette reconnaissance ouvre la voie à des sanctions pénales lourdes : les violences ou intimidations contre un arbitre peuvent être punies de plusieurs années de prison.

Pourtant, comme le rappelle l’AAHG, les agressions physiques ou verbales semblent rarement suivies de procédures pénales, et la répression disciplinaire paraît trop clémente. Les arbitres déplorent un laxisme historique des commissions disciplinaires et demandent des barèmes planchers plus sévères, ainsi qu’une audition systématique des officiels victimes. La FFHG, de son côté, met en avant l’indépendance de ses organes disciplinaires et la présence d’anciens arbitres en leur sein.

 

Que faire ?

 

Loin des polémiques, plusieurs pistes émergent pour retisser la confiance :

Audition des arbitres victimes : dans l’affaire Bordeaux–Angers, l’absence d’audition des officiels a choqué. L’AAHG réclame que leur parole soit systématiquement recueillie avant toute décision.

Sanctions plus dissuasives : la répétition des agressions montre que des suspensions de quelques matches ne suffisent pas. Un barème plancher pourrait être instauré, doublé d’une saisine automatique des instances pénales en cas de violence.

Clarification des conflits d’intérêts : la présence de dirigeants de club au comité directeur de la FFHG pose question. L’élaboration de règles de déport (récusation) lorsqu’un dossier touche leur club renforcerait la crédibilité de la procédure.

Formation et prévention : multiplier les actions de sensibilisation auprès des joueurs, des entraîneurs et des parents – notamment dans les catégories jeunes – pour rappeler les droits et devoirs envers les arbitres. Nos intervenants n’ont noté aucune action de la FFHG sur ce sujet. Au‑delà des déclarations de Pierre‑Yves Gerbeau, président de la FFHG, aucune mesure concrète n’a été recensée. De même, un encadrant professionnel du hockey amateur angevin a cette époque que nous avons contacté remarque que, malgré les engagements médiatiques de Rodolphe Instaby, aucune action n’a été menée auprès des jeunes de l’AHCA à propos de l’incident bordelais, bien que celui-ci soit sur toutes les lèvres des jeunes hockeyeurs.

Dialogue régulier clubs–arbitres : organiser des rencontres formelles et informelles pour échanger sur les règles, les attentes et les difficultés, à l’image de ce qui se fait en Suisse ou en Allemagne.

 

Conclusion

 

Loin d’être un simple « fait divers », l’agression de Bordeaux–Angers a ouvert une brèche. Elle a mis à nu les fragilités d’une gouvernance fédérale jugée opaque et la montée d’un climat de violence qui n’épargne plus les plus jeunes. Entre une AAHG qui réclame des actes et une FFHG qui se retranche derrière l’indépendance de ses commissions, le dialogue semble rompu. Les témoignages de Eric Mallettroit et de Briec Bounoure, la promesse de réforme portée (entre autres) par Rodolphe Instaby et les comparaisons internationales montrent pourtant qu’une sortie de crise est possible, à condition que la parole des arbitres soit enfin entendue, que les sanctions soient à la hauteur des enjeux et que l’entre‑soi cède la place à la transparence. Au-delà de ce constat la question du statut des arbitre reste un angle mort à date.